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Quelques mots

Michaël LILIN

Vit et travaille à Lille

Biographie (?) à la troisième personne

Quand il est arrivé à l’école maternelle, Michaël Lilin ne parlait pas un mot de français.

À peine, une poignée, entre Merde et Bonjour… Alors pour réussir à communiquer avec ses camarades, il s’est mis à dessiner. Beaucoup. 

Enfin, c’est une sorte de légende, dont on ne saura jamais la véracité…  En tous cas, ce dont on est sûr, c’est que suivant les matières scolaires les dessins prenaient plus ou moins de place dans les marges.

Encore aujourd’hui, pendant les réunions il dessine. Il dit que c’est pour fixer son attention, mais en réalité personne ne sait s’il écoute vraiment ce qui se dit.

 

Entre Merde et Bonjour, entre l’obsession et la désinvolture, entre l’acharnement du dessin et la volonté de communiquer, il a voulu bâtir un univers qui soit comme un écho à la société, les rapports sociologiques entre les gens et les groupes, la relation à l’autorité, au savoir et au pouvoir, avec une volonté de décrypter et mettre en évidence les schémas en jeu ; bien évidemment, le but n’est que très partiellement atteint.

 

Aujourd’hui artiste et enseignant en art, il tente d’éviter les écueils les plus flagrants dans une situation comme dans l’autre. 

Whenever I read these words.jpg

Black rider, black rider, you've seen it all

You've seen the great world and you've seen the small

You fell into the fire and you're eating the flame

Better seal up your lips if you wanna stay in the game

Bob Dylan, Black Rider, 2020

 

 

À travers ces dessins, ces objets, c’est une approche de la compréhension du monde qui est explorée, de la même façon que nous recouvrons le monde par nos savoirs. Partant du principe que les connaissances du monde ont une superficie plus importante que la réalité elle-même, je tente de créer des situations archétypales, dans lesquelles des personnages, souvent masqués, parfois la tête remplacée par un rocher ou un masque, errent, un peu perdus, dans des paysages désertiques. Sur des pilotis à l’air peu engageant, des architectures tordues sont isolées. Une fenêtre, parfois deux, de la lumière. De grands arbres, souvent dépouillés, à l’air mort, ou taillés sévèrement. 

Les images sont souvent accompagnées de morceaux de textes, qui refusent obstinément d’éclaircir la situation.

Je dois souligner régulièrement que ces dessins sont des sortes de croquis d’observation effectués sur le motif, nourris par l’actualité, la lecture de journaux ou de magazines, et que se rejouent dans ces situations des éléments qui y ont été piochés.

 

Ainsi, obtenir les notions qui ne se communiquent point à nos sens par image, mais dont nous percevons en nous la réalité même, par intuition directe, n’est après tout que rassembler dans l’esprit ce que la mémoire contient çà et là, en recommandant à la pensée de réunir ces fragments épars et négligés pour les placer sous la main de l’attention.

Saint Augustin, Les Confessions, Livre X, vers 397 

(traduction de  Moreau, 1864)

 

Les extraits de textes qui viennent s’inscrire sur ces dessins sont des fragments un peu laborieux, extraits de poésies, d’articles de journaux, de romans, d’essai ou de chanson, dans des langues diverses. Là où on aurait pu espérer que le verbe vienne apporter comme une légende un peu de logique ou d’unité, une tentative d’ordonnancement, il est souvent un leurre, une piste supplémentaire dont on ne sait pas sur quoi elle va aboutir. Après tout, les mots, pas plus que les images, ne peuvent réellement servir comme outil de compréhension du monde, si ? 

 

La feuille est le lieu d’une sorte de conjonction, de confrontation où chacun, comme issu d’univers différents, marque son territoire, une sorte de lutte sourde pour gagner en influence.

On retrouve des éléments récurrents, pour lesquels on est tenté de faire une liste. La liste, c’est un moyen pratique de placer des choses sans trop les hiérarchiser, et c’est précisément de cette absence de classification dont il faut aussi parler, de l’aspect anarchique, désorganisé : des personnages (homme en costume, souvent masqué d’une tête monstrueuse, ou d’une boîte) ;  une femme (elle aussi masquée) ; Felix le chat qui feint d’organiser les choses…) ; des architectures (structures précaires, échafaudages tanguants, maisons biscornues…) ; des éléments naturels (arbres taillés, rochers, cristaux, nuages…)

Et puis aussi : des taches, des éclaboussures, des coulures, des découpages, des stratifications… Et, pour couronner le tout, des bouts de phrases qui bien sûr ajoutent encore de la confusion.

Ces dessins peuvent se déployer dans l’espace, des dioramas modestes dont les différents plans forment des décors un peu rustiques, ou des fragiles cabanes de papier qui sont comme des dessins qui se développent dans l’espace. 

 

Les expériences montrent que on ne voit de la réalité que ce qu’on sait de la réalité ; par exemple, l’anamorphose des Ambassadeurs d’Holbein a longtemps été simplement ignorée, avant d’être redécouverte (je ne sais pas si cette anecdote est vraie, mais elle me plaît suffisamment pour  le devenir…en tous les cas, il s’agit d’une invitation à voir les choses sous un autre point de vue).

Michael Lilin, 2022

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I won't ask.jpeg

Michael LILIN 

Catherine Laubier, Yves Brochard (2013)

 

If they don’t like him that way
They won’t like me after today
I’ll be standing right by his side when they say
He’s a rebel and he’ll never be any good
He’s a rebel cause he never does what he should
Just because he doesn’t do what everybody else does

The Crystals, He’s a rebel, 1962

Lorsque nous l’avons sollicité pour un achat, il nous a envoyé une pochette Canson de collégien en ajoutant « je peux vous en faire d’autres pour la semaine prochaine ». Derrière cette (fausse) désinvolture, on trouve des dessins extrêmement fouillés, ce n’est pas la moindre des contradictions.

Michael Lilin a toujours beaucoup dessiné et très bien, mais c'est la première fois qu'il fixe son univers avec autant d'exigence, comme si tout cela était dans sa tête depuis un long moment et attendait.

Quel univers ? Des paysages imaginaires où des chemins se creusent, des couloirs deviennent sinueux, des choses s’imbriquent les unes dans les autres, des excroissances végétales (branche d'arbre mais aussi bois de cerf) poussent, une forme de surréalisme aujourd’hui.

Il y a des maisons simplifiées, aussi des sortes de mirador ou de chaise démesurément haute d’arbitre, souvent en équilibre instable ou renversés, des boîtes qui s'ouvrent ou se ferment. Lorsqu’il y a des humains cela devient encore plus complexe, les corps au feutre fin et plutôt rouges sont surmontés de masques à têtes animales, les hommes sont affublés d'un long cou, parfois aussi ils portent des armures moyen-âgeuses. 

 

Arrivent-ils ou partent-ils? Sont-ils les bienvenus ou la cible d'un doigt inquisiteur pour une culpabilité d'origine inconnue? Souvent, les bras écartés, ils planent ou lévitent. Michael Lilin connaît-il ce générique de Folon pour la télévision dans les années quatre-vingt? Des personnages planants sur une musique mélancolique annonçaient la fin des programmes et la neige persistante sur l’écran.

Les ciels aquarellés sont toujours travaillés, les nuages en enfilade, mais s’agit-il de nuages ou de fumée?

 

Michael Lilin connaît particulièrement bien la culture anglosaxone et germanique, et ce n'est pas un hasard s'il passe d'une langue à l'autre dans les titres de ses dessins.

Proverbes, citations, expressions confèrent aux œuvres une dimension quasi métaphysique: « Il sera convoqué prochainement devant la commission... ».

Il y a une parenté avec l'œuvre rare d'Eugen Schönebeck, les dessins de 1963 où des personnages disproportionnés (corps chétif, grosse tête) deviennent inquiétants. "Il montre un aspect sombre, tabou, de la vie cernée par la société. Mais certains dessins contiennent de l'humour…"(1)

Chez Michael Lilin une sorte de Krazy Kat peut aussi surgir dans un terrifiant engin de travaux publics et, jubilatoire, il est là pour détruire.

(1) Eugen Schönebeck, Die Zeichnungen, Galerie Nolan-Judin, Berlin 2011

Und schon ist wieder Sonnenaufgang_edited.jpg
All along my responsibilities.png

N'en disons pas de bien non plus, n'en parlons pas   

Sébastien Bruggeman (2015)

 

Un  des Clash a frappé l’un des punks du premier rang avec sa guitare. Il était allongé au  sol à saigner jusqu’à ce que les infirmiers l’emmènent. Intellectuellement, je ne comprenais encore une fois rien à ce qu’il se passait. Mais ce sentiment de l’imprévisibilité absolue de la chose m’a finalement servit d’étincelle. Je pouvais éprouver, du plus profond de mon âme, comme cet espace libre entre le connu et l’inconnu, l’habituel et l’inhabituel, était authentique.

Jürgen TEIPEL, Dilapide ta jeunesse, ALLIA, 2010

 

 

Passé le moment où le regard traverse la fumée épaisse qui masque le fond, l’œil se heurte à de multiples ruptures d’échelles. Des éléments figuratifs glissent sur une perspective sans la respecter, comme si, à l’instar des surfeurs, le premier des motifs présent s’imposait sur la vague ; parmi les prétendants : la fenêtre, le socle, le tronc, le bulldozer, l’homme à tête molle, la «minotaure», les architectures-sculptures. 

 

Dans cette série, la «femme taureau» rythme les situations. Son icône nous révèle que l’on se trouve dans un labyrinthe, chaque image contient un passage vers un autre lieu, chaque lieu redevient un autre passage. C’est un avertissement pour ceux qui cherchent une narration, chaque dessin est brutalement authentique, inachevé pour ne pas raconter, impensable pour ne rien révéler.

 

A bien y regarder, les quatre aquarelles suspendues sont séparées par une mince respiration. Elles sont autonomes et forment un ensemble. On pense à un EP vinyle, un «quatre titres», avec un sillon vide qui sépare les morceaux. Notre regard se surprend d’ailleurs à tourner dans le même sens que ces disques.

La série est ainsi à observer avec un peu de synesthésie, parfois domine le souffle d’une couleur, parfois le son d’un crayonné, parfois un désaccord nous fait apprécier ce qui nous échappe.

© 2023 Michael Lilin

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